"Une très épaisse couverture médiatique a «permis» à des crimes contre l'humanité (Septembre noir en Jordanie, Damour ou Sabra et Chatila au Liban, attentats terroristes en Israël) de se faire connaître davantage que d'autres drames survenus ailleurs, mais joue ainsi le prisme déformant et dénaturant."
Pas si prioritaire
par Frédéric EncelBarack Obama souhaite que s'apaisent rapidement les tensions au Proche-Orient, et il a raison. Pour autant, en quoi cette question serait-elle prioritaire à l'échelle de la planète?
Le constat peut surprendre; il est pourtant irréfutable. Si l'on s'en tient aux victimes tombées de mort violente (hors crimes de droit commun, s'entend) sur le sol des États et territoires libanais, israélien, syrien, jordanien, égyptien et palestinien, on doit concéder que la zone est mortifère. Sans tomber dans une comptabilité macabre, on peut estimer à environ 75 000 le nombre de victimes des différents conflits du Proche-Orient sur un siècle, depuis l'effondrement de l'Empire ottoman en 1917.
Dans l'absolu, ce chiffre est important, mais relativement à d'autres chiffres correspondant à des zones qui furent ou demeurent en conflit ouvert ou latent, il s'inscrirait plutôt au bas de l'échelle.
Les guerres et/ou guérillas de Corée (1950-53), d'Algérie (1954-62), d'Indochine puis du Vietnam (1946-75), du Sri Lanka (1983-2009) du Caucase (1991-années 2000), d'Amérique latine (années 1970) ou encore d'Afrique noire (années 1990-2000 surtout), ont chacune provoqué un nombre bien supérieur de morts au combat que l'ensemble des affrontements militaires israélo-arabes et interarabes du Proche-Orient.
Encore convient-il absolument de distinguer les guerres (globalement) conventionnelles d'une part, les massacres d'autre part. Toute vie humaine fauchée est certes à déplorer. Mais en droit international, comme dans la moralité qu'il traduit et protège en principe, on ne confond heureusement pas la violence du choc des armées conventionnelles sur le champ de bataille et la violence sans foi ni loi des meurtriers assassinant des civils.
Or au Proche-Orient, aussi surprenant que cela puisse paraître au regard des affrontements de moins en moins interétatiques, on déplore depuis 1945 davantage de victimes militaires que de victimes civiles.
On y massacre globalement moins qu'ailleurs en temps de montée aux extrêmes, y compris pendant des guerres civiles finalement assez rares et localisées (Liban 1975-1991 surtout). Une très épaisse couverture médiatique a «permis» à des crimes contre l'humanité (Septembre noir en Jordanie, Damour ou Sabra et Chatila au Liban, attentats terroristes en Israël) de se faire connaître davantage que d'autres drames survenus ailleurs, mais joue ainsi le prisme déformant et dénaturant.
En outre, puisqu'on ne constate jamais vraiment d'accalmie totale dans la région du fait de cette espèce de constance d'une conflictualité dite de «basse intensité», elle nous apparaît à feu et à sang, dévoreuse de civils. Or là encore, si l'on compare la situation des civils proche-orientaux en temps de guerre (ouverte ou larvée) à celle qui a prévalu au Biafra, au Cambodge, en Tchétchénie, dans les Balkans ou, très récemment, dans l'Afrique des Grands Lacs, on constate l'absence de génocides et de crimes de masse, et même la relative rareté des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité.
Spontanément, on pense à la rivalité israélo-palestinienne en entendant le vocable composé «Proche-Orient». Pourtant, cette région du monde n'a pas connu, comme par soudaine malédiction, un état de guerre endémique à partir du conflit entre Israël et les Arabes de Palestine ou des alentours. Dans bien des cas, le conflit israélo-palestinien ne «joue» pas ou alors comme simple instrument de propagande, et souvent ne représente-t-il qu'une toile de fond, mais pas la cause directe de ces violences. Croit-on sérieusement que si Israël disparaissait comme État souverain, le Proche-Orient se stabiliserait? Illusoire!
On admettra sans risque, à l'instar de Barack Obama, qu'un apaisement de la confrontation au Proche-Orient contribuerait évidemment à éviter certaines montées aux extrêmes. Mais de grâce, cessons de faire de cette région et de ce conflit l'épicentre des malheurs de la planète.
L'auteur est directeur de recherches à l'Institut français de géopolitique et maître de conférences à Sciences-Po et à l'ESG Paris. Il vient de publier Horizons géopolitiques aux éditions Le Seuil.
© Metula News Agency
Vous déplorez la nucléarisation de l’Iran ? Voyez le responsable, qui est Israël
Je crains que les émeutes qui ont soulevé l’Iran ces derniers jours, et qui se poursuivront peut-être, ne s’achèvent sans le moindre changement de régime et dans la couleur gris béton du totalitarisme ordinaire.
Plus que jamais, les Iraniens qui aspirent à la liberté, en tous cas, sont seuls. Ils n’ont aucun soutien de l’Europe, qui, même si des encouragements se font entendre ici ou là, est impuissante, s’étant couchée depuis longtemps devant le régime des mollahs.
Les Iraniens n’ont pas non plus à attendre quoi que ce soit de l’administration Obama, qui a, depuis des semaines, comme l’ont souligné divers analystes, dont Robert Kagan, choisi son camp, et qui a, par le biais du discours de Barack Hussein au Caire, le 4 juin dernier, affirmé plus explicitement que jamais ses positions.
Barack Hussein veut négocier avec les mollahs et Ahmadinejad. Si Mousavi avait accédé au pouvoir, il l’aurait accepté comme interlocuteur, mais Ahmadinejad lui convient très bien. Il sait, de toute façon, qu’Ahmadinejad et Mousavi ne sont que deux visages d’une même dictature. Il sait que des millions d’Iraniens aspirent à un changement de régime, et il sait aussi que lui, Barack Hussein, est en faveur de la « stabilité », du « calme », même si ce calme doit se révéler être celui des cimetières.
Ce dont rêve Barack Hussein, c’est d’un Proche-Orient apaisé, parsemé de dictateurs et d’islamistes peut-être, mais de dictateurs et d’islamistes prêts à s’entendre avec les Etats-Unis. Si le prix de l’entente est le sang de milliers d’Iraniens, Barack Hussein est prêt à le payer ; si le prix est l’humiliation des Etats-Unis, Barack Hussein est prêt à le payer aussi ; si le prix est une nucléarisation de l’Iran, Barack Hussein a déjà déclaré, je l’ai dit, qu’il acceptait celle-ci. Si le prix doit être un anéantissement d’Israël, Barack Hussein n’hésiterait guère, je le crains, à condition que l’anéantissement se fasse par étapes, graduellement, par étouffement et amputations successives, sans effusion de sang susceptible d’effaroucher l’électorat juif américain.
Je pense, d’ailleurs, que c’est parce qu’Ahmadinejad et les mollahs savent à qui ils ont affaire qu’ils se permettent la radicalisation et la violence actuelles. Obama ne l’ignore pas, mais pense déjà à l’étape suivante. Or l’étape suivante est, sur son agenda, la discussion avec un Iran nucléaire et avec des régimes arabes inquiets de voir l’Iran doté du nucléaire.
Les composants de cette étape sont déjà en place. Et c’est parce que les composants de cette étape sont déjà en place, que la radicalisation se lit aussi dans le discours des dirigeants palestiniens, qui, ces derniers jours, ne s’embarrassent guère de circonlocutions, pas plus d’ailleurs que des dirigeants arabes « modérés » tel Hosni Moubarak.
Cette étape consistera à tenter d’installer Israël en position de bouc émissaire, puis de victime expiatoire. Le premier mouvement vers cette étape a consisté à incriminer Israël pour les « implantations » en Judée-Samarie, et à comparer celles-ci à des colonies, et Israël à un Etat colonial, voire à un Etat pratiquant l’esclavagisme ou l’apartheid.
Le message en filigrane est : ou bien Israël se retire de tous les territoires « colonisés », ou bien Israël mérite d’être mis au ban de l’humanité. Le second mouvement a consisté à expliquer que la colonisation israélienne, si elle ne s’interrompait pas, serait responsable de la nucléarisation de l’Iran.
Le message, là, est destiné au monde arabe et européen : nous, Américains, avons fait ce que nous avons pu, vous déplorez la nucléarisation de l’Iran ? Voyez le responsable, qui est Israël.
Le mouvement suivant, présent entre les lignes dans le discours du 4 juin, est : nous, Américains, sommes en faveur d’une dénucléarisation généralisée ; l’Iran s’est doté du nucléaire, mais il y a déjà une puissance nucléaire dans la région, Israël.
Le message ? Si Israël se dénucléarise, diront de charmants diplomates made in Obama nous obtiendrons un arrêt de la course au nucléaire dans la région et une possibilité de voir l’Iran renoncer au nucléaire militaire.
Le dernier mouvement consistera à placer les dirigeants israéliens face à une offre que, comme on dit dans la mafia et autour d’Obama, ils ne pourront pas refuser. Soit, dira Barack Hussein, Israël accepte le plan de paix saoudien dans son intégralité, et y ajoute l’adhésion au traité de non prolifération nucléaire, soit Israël perdra le soutien des Etats-Unis, qui se rangeront sur la position unanime des Européens, du monde arabe, et, au delà, du monde musulman tout entier.
Barack Hussein ne désespère pas d’avoir l’assentiment de la communauté juive américaine pour parvenir à ses fins. Avoir parlé de la naissance d’Israël comme d’un effet secondaire de la Shoah n’est, en ce contexte, pas une « erreur de compréhension » de l’histoire de la part d’Obama, comme on l’a dit ici ou là. Dans le monde arabe et musulman, et de plus en plus en Europe, c’est ainsi qu’on présente Israël, et cela permet d’identifier ceux qui parlent des racines du peuple juif sur sa terre au Proche-Orient comme des « extrémistes », voire des « fondamentalistes », donc des êtres détestables.
Binyamin Netanyahu a parfaitement conscience de ce qu’est la stratégie d’Obama, et son discours du 14 juin a constitué une tentative d’arrêter la machine infernale qui est en marche. Aux fins de faire un geste d’apparence en direction d’Obama, il a admis la nécessité de deux Etats, donc celle d’un Etat palestinien, avec son drapeau et son hymne.
Aux fins de désamorcer le geste et de montrer aussitôt qui ne veut pas de la paix et d’un Etat paisible à côté d’Israël, Netanyahu a ajouté que cet Etat devait être démilitarisé. Quel besoin d’une armée, si les Palestiniens veulent vivre en paix avec des voisins prêts à accueillir favorablement l’Etat palestinien nouveau né ? Autre condition posée par Netanyahu au futur Etat de Palestine : ne pas passer d’accords avec des entités hostiles à Israël ; mais quel besoin de passer des accords avec des Etats hostiles à Israël, si l’Etat palestinien entend vivre en paix avec l’Etat hébreu ?
Vendredi 19 juin [07:13:00 UTC]